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vendredi 21 juin 2019

Pollen, de Joëlle Wintrebert







       Présentation

       Pollen est un roman de 336 pages écrit par Joëlle Wintrebert. Il a été publié en 2002 par Au Diable Vauvert. L’illustration de couverture a été réalisée par l’agence Rampazzo et Associés, qui signe toutes les couvertures de cette maison d’édition. En 2003, Pollen a reçu le prix Rosny-Aîné, qui récompense chaque année les meilleures œuvres de SF francophones.
       Attention, tout comme avec Joan D.Vinge, je risque de ne pas être impartiale. Je suis fan de Joëlle Wintrebert, et j’ai adoré ce roman.


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       Le livre proprement dit

       Pollen est une planète où s’est développée une société utopique, pacifiste et matriarcale qui a réussi à complètement éradiquer la violence. Comment ? En reléguant les hommes à un rôle de second plan, et en diminuant artificiellement leur nombre : ils ne constituent plus qu’un tiers de la population. Bien que la sexualité soit très développée, et tout à fait libérée, la procréation n’incombe plus aux femmes. Sur Pollen, les ingénieures ont une maîtrise absolue de la fécondation in vitro et donnent naissance, dans leurs laboratoires, à des triades : un enfant de sexe masculin pour deux enfants de sexe féminin. Sur Pollen, la volupté est un art de vivre et, malgré cet environnement a priori paisible et pacifique, si un homme fait preuve de violence, il est immédiatement envoyé sur le Bouclier, le satellite semi-artificiel de Pollen. Le Bouclier a été créé pour assurer la protection, comme son nom l’indique, de la planète-mère. Mais le rapport entre un tiers d’homme et deux tiers de femmes est-il viable, est-il acceptable ? Peut-on vraiment parler d’équilibre ? Et comment en est-on arrivé là ? L’Histoire a réponse à toutes les questions et de fait, sur la planète Pollen, « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Une utopie enfin réalisée, une utopie qui fonctionne, un aboutissement.
       Vraiment pour tout le monde ?

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       Salem, Sahrâ et Sandre forment une triade parfaite. Nés ensemble dans un incubateur, élevés ensemble, ils sont inséparables. Jusqu'au jour où Sandre commet l'irréparable et risque d'être envoyé en exil sur le Bouclier. Peut-on séparer les êtres d’une triade aussi fusionnelle ? Y a-t-il un moyen pour que Sandre reste ou, s'il devait partir, pour le faire revenir ?

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       Pollen est une histoire d’amours, de politique, de trahisons, de fusion, et de prises de conscience. Le ton est détaché, on entend parfois parler d'événements de façon indirecte, mais il se passe beaucoup de choses, et l’histoire est pleine de rebondissements. Pollen est un roman qui peut paraître déroutant, un roman sensuel, engagé et révolutionnaire. Cela reste malgré tout un récit tout en finesse et en sobriété, fluide et très agréable à lire.

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       Court Extrait
       « (...) Quand, à vingt-huit ans, il était entré au service d'Ifni, secrétaire le jour et amant la nuit, il avait imaginé naïvement que les barrières s'effondreraient devant son avancée irrésistible.
       Il avait su se rendre indispensable, mais les barrières avaient tenu. Sa position d'auxiliaire, acquise depuis trois ans, ne les avait ébréchées en rien. C'était pourtant la plus belle promotion dont un homme eût le droit de rêver à l'échelon d'une commune. Certes, en théorie, l'accès au rang de bourgmestre n'était pas conditionné par le sexe. Seulement il suffisait de détailler la composition d'une assemblée communale et l'on comprenait pourquoi, en deux cent trente quatre années de Pollen, aucun homme n'avait été élu à ce poste : les quatorze guides étaient exclusivement des femmes et le contingent des hommes à la tête d'une centurie n'avait dépassé dix pour cent qu'au moment des incursions abouties de pirates. De toute façon, le tiers masculin de la planète avait toujours été sous-représenté. »



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       Féminin ou féministe ?

       La différence est de taille ! Un roman de SF féminin est un roman écrit par une femme, c'est tout.
Un roman de SF féministe peut être écrit par un homme ou par une femme, peu importe. C'est le fond qui change. Il revendique une amélioration de la condition des femmes, il appelle à une équité dans le traitement, à une égalité des droits dans tous les domaines où la femme est, toujours à l'heure actuelle, en situation d'infériorité (salaires, politique, médias, hiérarchie, accès à la scolarisation notamment dans les filières techniques et scientifiques, etc.). Malheureusement, ces domaines sont encore très nombreux.
       Pollen est-il un roman féminin ou féministe ? Les deux, *ma* capitaine ! Il est écrit par une femme, Joëlle Wintrebert, et il décrit une société matriarcale où les femmes ont pris le pouvoir dans tous les domaines (là, croyez-moi, vous êtes sûr de lire de la SF !). Joëlle Wintrebert pousse tellement loin sa réflexion qu'elle abandonne la fameuse règle de grammaire voulant que, depuis le XVIIIe siècle, « le masculin l'emporte sur le féminin ». Tous les noms sont féminisés – elle nous parle par exemple d'ingénieures, centurionnes ou de médiciennes – mais aussi les accords en genre. Quand elle vous parle d'un groupe de dix hommes et d'une femme, elle dira « elles », et elle accordera tout au féminin pluriel. La société de Pollen est fondée par des triades de deux filles et un garçon, systématiquement. En français actuel, on dirait que ce sont des jumeaux. Mais Joëlle Wintrebert ne parle qu'au féminin, donc ce sont des jumelles. Au début, même pour une lectrice, c'est un peu troublant, on n'a pas l'habitude de voir le féminin occuper tant de place. Mais on s'en accommode rapidement, et fort bien. En revanche, pour les lecteurs masculins, le sentiment est certainement très différent. J'imagine qu'ils doivent se sentir profondément exclus de tout ce monde, de ces environnements hyper féminins, ils le sont même de leur propre langue. Terrible, n'est-ce pas ? Mais songent-ils un instant que les femmes vivent cela depuis des siècles, tous les jours, à chaque instant ? Qu'elles lisent un livre, qu'elles écoutent la télé, la radio (la très grande majorité des intervenants sont des hommes, qu’ils soient animateurs, invités ou héros de bouquin), qu'elles se présentent à un poste un peu élevé, qu'elles s'interrogent sur leur salaire, souvent inférieur à ceux de leurs collègues. Qu’elles veuillent simplement jouer à un jeu de société (la plupart des hommes vont les agonir de conseils et leur prouver à quel point elles sont idiotes et n’auraient pas dû participer au jeu) ou qu’elles aient affaire à un médecin, à un supérieur hiérarchique... Les femmes vivent ce rejet, cette mise à l'écart, cette invisibilisation au quotidien. En lisant Pollen, les hommes auront un vague aperçu du malaise que cela engendre dans « la vraie vie », et de la tyrannie profonde de cet état de fait. Cela choque, cela dérange, cette ségrégation révolte, tellement elle est injuste et arbitraire. Pollen n’est pourtant qu’un roman, quelques feuilles de papier imprimé qu’on peut lire ou pas, personne n’est obligé. Mais quand c'est une femme qui subit ça, dans la vraie vie, qu’on ne lui laisse aucun choix, n’est-ce pas encore plus révoltant ? C’est tellement ancré dans notre société, qu’on aurait presque tendance à l’oublier, et on a d’ailleurs vite fait de conspuer celles et ceux qui tentent d’obtenir une plus grande équité, une plus grande justice entre les sexes.


Joëlle Wintrebert en 2010, photo de Ji-Elle *


       Notice de l’autrice

       Joëlle Wintrebert est née en 1949 à Toulon, en France. Elle a suivi des études de lettres et de cinéma. Elle a ensuite exercé divers métiers (journaliste, traductrice, critique pour de nombreuses revues littéraires et cinématographiques...). Elle a écrit plus d’une vingtaine de romans, notamment dans un genre où elle excelle : la science-fiction. Mais cela ne l’a pas empêchée d’écrire quelques polars, des histoires pour enfants, des romans historiques, des nouvelles, et divers scénarios. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions pour son œuvre.
       Joëlle Wintrebert écrit depuis les années 70. C’est l’époque où se développe, en parallèle à la science-fiction anglo-saxonne, la « nouvelle vague » de la SF francophone. Ce courant est composé d’hommes et de femmes doté·es d’un grand talent littéraire, qui écrivent des œuvres intelligentes et passionnantes à lire, des œuvres où les thèmes de société et la politique sont souvent mis en avant. Joëlle Wintrebert, écrivaine en tout point remarquable, est une digne représentante de ce mouvement, et son influence perdurera encore longtemps dans la science-fiction francophone moderne.

Bonne lecture !




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